• La chasse.

    La chasse.

     

    Qui est chasseur ou chassé dans cette histoire ?

    Tirée d’une nouvelle que j’ai écrite en 2009, et que vous pourrez lire après la

    chanson, une histoire de chasse sur un air « country », avec guitares folk, banjo,

    steel-guitar et basse-batterie.

     

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    1

    On est partis ensemble au lever du soleil,

    On était quatre avec deux fusils et les chiens,

    Dans la gibecière les casse croûte et la bouteille,

    On espérait bien manger des caille aux raisins.

     

    En haut d’la bosse des grands prés on a vu des hommes,

    On leur a fait signe parce qu’ils étaient armés,

    Mais au lieu de répondre, ils ont rechargé comme

    S’ils voulaient nous tirer dessus comme du gibier.

     

    2

    Alors on s’est sauvés vers le bois des Métais

    Qui sont des voisins et ont leur maison par là,

    J’ai reçu un plomb dans la cuisse et j’suis tombé,

    J’avais peur et je ne comprenais rien à tout ça.

     

    Heureusement dans la forêt j’étais à l’abri,

    En boitant j’ai pu traverser jusqu’au hameau,

    Il fallait que j’appelle la gendarmerie,

    Dire qu’on avait été tirés comme des perdreaux.

     

    3

    Dans la cour, les volets fermés, la porte aussi,

    J’ai toqué deux fois, c’est la vieille qu’a répondu,

    « Rentrez-donc , qu’elle me dit, y sont ‘core par ici,

    - Qui ça, que j’dis,

    - j’sais - t-y, mé, les ceusses-là qui tuent. »

     

    « Y sont arrivé a matin avec leurs quiens,

    C’était pas des gars d’chez nous, on connaissait point,

    Y z’étaient noirs et poilus comme des sarrazins,

    Y s’ont mis à tirer sur nous dans tous les coins! »

     

    4

    Que des chasseurs nous tirent dessus, c’est improbable,

    Mais quelque chose d’autre était vraiment incroyable,

    J’avais vu la tête de l’un d’eux dans la fumée :

    J’étais sûr qu’il avait une tête de sanglier.

     

     

     

     

    La Chasse (nouvelle)

     

    On était partis avec les gars au lever du soleil: marcher dans la campagne à cette heure là c'est ce que je préfère, dans la chasse. On était quatre, il y avait le petit Juju, François, Germain et moi, deux fusils et les chiens. Moi, j'avais emmené mon Verney-Carron, je le tenais cassé sous mon bras. C'était trop tôt pour prélever de la caille des blés, on allait vers les Grands Prés où on savait qu'on pourrait peut être tirer du lièvre au déboulé.

    On marchait depuis trois quarts d'heure environ quand on a vu quatre hommes en haut de la bosse des Grands Prés, on avait passé la limite de la commune. Ils venaient vers nous, il y en avait un qui avait un chapeau et un fusil sous le bras. C'était un des Hunault. Au fur et à mesure qu'ils avançaient vers nous, on en voyait apparaître d’autres au-delà de la côte: ils étaient nombreux, en ligne, presque tous avec des fusils. Ça m'a étonné parce que quand il y a une battue, on est prévenus, nous autres du Grand Fourché.

     

    On était à cent mètres les uns des autres, environ, quand j'ai vu distinctement, malgré le contre jour, celui qui était en avant et semblait diriger le groupe fermer son fusil et épauler. J'ai cru à une mauvaise blague: on ne plaisante pas avec les armes, et surtout on ne les braque jamais sur quelqu'un, même quand on est sûr qu'ils ne sont pas chargés, c'est quelque chose qu'on apprend aux enfants dès tout petit, chez nous. Et là, nous viser, c'est ce qu'il était en train de faire, pendant que les autres, derrière lui, étaient tous en train de refermer leur culasse.

    On n'y croyait tellement pas que j'ai été surpris d'entendre le premier coup de feu partir, et que je n'ai pas eu tout de suite le réflexe de me coucher par terre, comme on nous a appris au service. J'ai senti comme une piqûre de guêpe sur ma cuisse droite, j'y ai porté la main et je l'ai ramenée devant mes yeux avec du sang. Alors là seulement, j'ai compris: ils nous tiraient dessus. « Couche-toi ! » a crié près de moi Germain, et le fait est que j'étais le seul encore debout.

    On s'est sauvés comme ça comme on a pu, moitié en rampant, moitié courbés en deux, pendant que les coups de fusils partaient sans interruption. Ma parole, pendant qu'un tirait ses deux coups, l'autre rechargeait: ils voulaient vraiment notre peau. Je n'y comprenais rien. C'est vrai qu'on ne s'est jamais bien entendu, avec ceux des Hunaults, surtout pour la chasse ça a toujours été la guéguerre pour savoir ou s'arrête celle de l'un et ou commence celle de l'autre. Mais de là à se tirer dessus... Et à vingt contre un, en plus! Les plombs sifflaient autour de nous, je commençais à paniquer salement, mais je savais que si je me levais pour courir, je ferais une cible facile. Et comme j'avais ma cuisse qui me lançait à cause du plomb que j'y avais sûrement pris, j'allais moins vite que les autres. Je prenais du retard, et ceux des Hunault avançaient et tiraient toujours. Paoum! Paoum! On n'a pas idée comme un fusil de chasse peut faire de potin quand on est du mauvais côté du canon. Les plombs sifflaient de plus en plus près, et j’ai commencé à comprendre que je risquais d’y laisser ma peau : plus on tire de près et plus les plombs sont groupés. Une volée prise à vingt mètres peut tuer un homme, surtout que c’était du gros, si j’en jugeais pas les impacts qu’ils laissaient sur les troncs des pommiers. Il fallait que je me cache, et vite.

     

    A ma droite il y avait le bois du père Vanneau. Si je pouvais y arriver avant d’être touché ça irait mieux : avec les arbres il y a de quoi se protéger, et ils finiraient peut être par manquer de cartouches, depuis le temps qu’ils tiraient. Et puis le garde chasse ou les gendarmes allait bien finir par intervenir. Je me suis dit que si je me levais et que je courais cent mètres, même en boitant, ils auraient du mal à m’avoir. Au pire, je pouvais prendre quelques plombs, mais à cette distance pas une charge toute entière. J'ai pas réfléchi, j’ai rassemblé tout ce que j'avais de panique dans mes jambes et j'ai détalé comme un lapin dans une garenne. Alors j'ai entendu une salve de coups de feu: ils tiraient tous dans ma direction. J'en croyais pas mes oreilles, en courant je criais: « c'est pas vrai... c'est pas vrai...c'est un cauchemar » et j'entendais les plombs fuser autour de moi en soulevant des mottes de terre. Coup de chance: aucun ne m'a atteint avant que je n'arrive dans le bois. Là, je me suis effondré derrière un gros chêne: il était temps, ma jambe me faisait de plus en plus mal. Mais que j'aie pu courir jusque là montrait sans doute que la blessure n’était pas trop grave.

     

    Et maintenant? Quoi faire? J'étais isolé, je ne savais pas du tout où étaient passés les autres. Bien sûr, j'avais lâché mon fusil, et de toutes façon je n'aurais jamais pu l'utiliser contre un homme. J’espérais vaguement qu’ils allaient continuer à avancer tout droit. Comme il n’y avait aucune logique dans ce qui se passait, ça ne m’aurait pas du tout surpris, et puis je ne vois pas pourquoi ils s’en seraient pris personnellement à moi. Mais malheureusement, ils changèrent de direction et commencèrent à se diriger vers l’endroit où ils m’avaient vu disparaître dans les fourrés de lisière. Il fallait que je change d’endroit sans qu’ils le voient, exactement comme font les lapins quand ils se sentent traqués. Je commençais donc à me déplacer doucement, plus ou moins en rampant. J'avais un avantage sur eux: ils ne me voyaient pas et moi je les voyais. Je me déplaçai donc en biais, à la fois vers le fond du bois et latéralement, mettant de plus en plus de distance entre la lisière et moi. Je fis bien: quand ils arrivèrent aux arbres, ils déchargèrent leur fusils tous ensemble dans un vacarme de tonnerre, ce qui les enveloppa d'un nuage de fumée et d'une odeur de poudre qui alla jusqu'à mes narines. Mais j'étais hors d'atteinte, caché derrière le tronc d'un arbre multicentenaire, complètement abasourdi par ce que je venais de voir, ou cru voir, à travers la fumée.

     

    Ils semblèrent ne pas vouloir entrer dans le bois: en bons chasseurs ils savaient qu'ils avaient très peu de chances de m'atteindre. J'étais sauvé. Ils remirent l'arme à la bretelle et firent demi-tour, comme s'ils savaient précisément où ils voulaient se rendre ensuite. Je restai un instant dans les feuilles mortes, stupéfait, et soudain les larmes vinrent. Je m'appliquai mon chapeau sur ma figure pour ne pas être entendu, car je ne pouvais pas arrêter les sanglots et les cris qui se bousculaient à ma bouche. Je ne comprenais rien à ce qui venait de m'arriver, je savais que j'avais sauvé ma vie de très peu, et étais incapable de comprendre à ce moment là si j'avais de la chance ou non. Ma jambe me faisait mal. « Il faut que je me reprenne, c'est pas fini » fut la pensée qui me permit de me remettre sur les rails. Il y avait bien vingt ans que je n'avais pas pleuré, peut être à l'enterrement de ma mère, et encore je n'en étais pas bien sûr. Il fallait que je comprenne, et vite, ce que je devais faire maintenant, sinon j'allais recommencer à gémir dans les feuilles mortes jusqu'à la nuit, et vu la situation il valait mieux pas.

     

    Il fallait que je rentre chez moi, et d'abord donner l'alerte: la gendarmerie. Quoi qu'il soit arrivé, déclaration de guerre ou je ne sais quoi, il fallait que cette affaire là s'arrête. Trouver un téléphone et appeler. Le téléphone le plus proche: Les Métairies. Oui mais voilà, qu'est ce qui m'attendait là bas? Qui était ami ou ennemi dans ce nouveau monde? Je n'en avais aucune idée. Soyons raisonnable: A part cette bande de cinglés, le monde devait être comme d'habitude. Il fallait que je parte de ce principe sinon j'allais devenir fou. Je me dirigeai en boitant vers les Métairies.

     

    A tout moment, je m'attendais à voir quelque chose d'extraordinaire, comme un hélicoptère me fonçant dessus ou un char traversant une haie. Mais la campagne semblait comme elle est toujours en automne: silencieuse, quelques oiseaux. Il ne me restait qu'un champ à traverser, un champ labouré qui semblait vouloir me laisser des kilos de glaise aux souliers à chaque pas. Je n'avançais pas très vite, à découvert, et j'avais peur. La peur du ventre, celle que devaient ressentir les poilus dans les tranchées. Le coup de feu qui part, et c'est fini. Je le sentais venir de la ferme, ce coup de feu, je lui trouvais un air assez hostile avec ses bâtiments bas et son air renfrogné. C'était des des Hunault qui y habitaient, les Métais, alors on n'était pas tellement en bons termes. La chasse, toujours. Je savais que je ne serais pas reçu comme un ami, ni même comme un voisin, mais comme un d’un autre pays, un qu’on ne connaît pas, comme quand on a un accident, quelque part sur la route, et qu’on demande tard le soir à téléphoner. La méfiance, quoi.

     

    Quand j’ai été assez près, j’ai entendu le chien aboyer. Même pour lui j’étais un étranger, et pourtant je n’habitais pas à plus d’un kilomètre environ. Mais c’est comme ça, par chez nous, dans les campagnes. Les Métais savaient que quelqu’un approchait, je n’allais pas tarder à connaître leur réaction. De toutes façons, si Métais sortait avec un fusil, j’étais mort. Mais qu’est ce qui m’arrivait de penser les choses comme ça ? Métais n’était pas mon ami, il n’était ami avec aucun de nous autres, ceux du Grand Fourché, mais de là à me tirer dessus…Non, on allait m’ouvrir, j’allais raconter mon affaire et ils allaient eux même appeler la gendarmerie, si ça se trouve.

     

    Dans la cour des Métais, les volets étaient fermés et le chien à la chaîne. Merde, si ça se trouve ils n’étaient pas là. J’ai toqué à un volet, j’ai entendu que ça bougeait, là-dedans. Et puis la porte s’est entrouverte, c’était la grand-mère Métais qui me juppait : « V’nez ! Mais v’nez donc ! » et elle m’a tiré à l’intérieur. « Vous faites pas de bile, elle a dit tout bas, on n’est point des leurs ! 

     - Des leurs ? Que j’ai répondu. Mais qui ça, donc ? »

     

    Quand on me parle avec l’accent sarthois, ça me reprend aussi : c’est à l’école qu’on m’a obligé à le perdre, mais j’ai appris à parler comme ça, à la ferme.

     

     - J’sais-t-y, mé ? Qu’elle a répondu. Ceusses-là qui nous tirant d’sus avec leurs fusils d’puis tantôt, dame.

     

          - On a appelé les gendarmes, ajouta Métais, qui se tenait près d’une fenêtre avec son fusil fermé, et pô d’réponse. Alors on attend, là, vouère c’qu’y va s’passer à c’t’heure. »

    Et puis il se tut, et continua à monter la garde. C’était un taiseux, Métais.

    Et moi, je me suis assis dans un coin et je n’ai plus rien dit. D’ailleurs, ce que j’avais à dire, il valait mieux que je le garde pour moi, où ils risquaient de me jeter dehors en me traitant de fou.

    Parce que tout à l’heure, près du bois, je les avais vus de près. Oh non, ce n’était pas des gars des Hunaults, même si j’avais cru en reconnaître un, au début. Pas du tout. Ceux là venaient de loin, de très loin pour sûr. Rien qu’à me rappeler leur tête, j’en ai encore les poils qui se dressent dans mon dos, même des années après. Dans la fumée de poudre, quand ils avaient tiré tous ensemble, il m’avait semblé que, curieusement, ils avaient la tête noire. Ou fauve. Enfin pas blanche. Et à un moment, dans un tourbillon, il y a eu une éclaircie, et il y en a un que j’ai vu. Aussi vrai que je vous vois, je le jure, et je le jurerai jusqu’à la fin de mes jours, et tant pis si on ne me croit pas. 

    Il avait une tête de sanglier.

     

    29 janvier 2009

    « La bombe.Je ne serai plus là. »

  • Commentaires

    1
    Alain
    Jeudi 27 Octobre 2022 à 00:22

    Hôla, carrément, ça fait peur...

    2
    Samedi 29 Octobre 2022 à 12:13

    Un tableau de chasse différent... et une scène de guerre... tableau, scène... et musique... de l'art et du cochon...

    3
    Sofy
    Mercredi 1er Février 2023 à 09:06
    Je n'avait point lu ni entendu cette pépite ! (j'ai du zapper un mail....) excellente.
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